Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome III.djvu/357

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
347
JOURNÉE II, SCÈNE II.

pouillé… Oui, quelque part que ce soit, je vivrai contente, pourvu que je sache, mon seigneur, que j’ai trouvé grâce devant vos yeux, et que je puisse vous nommer mon époux. Et quand bien même, disposée à vous complaire en tout, je ne regretterais pas de me voir éloigner de votre personne, hélas ! sire, pourrai-je être tranquille en songeant que par votre conduite vous pouvez donner prétexte à de nouveaux troubles ? Eh quoi ! vous, roi très-chrétien, vous si prudent, si religieux, vous si longtemps la glorieuse colonne de l’Église, vous qui avez confondu avec tant de sagesse les erreurs de Luther, vous pouvez mettre en doute la lumière du soleil ! — Je suis moins savante que vous, mon seigneur ; mais quand il s’agit des choses de la foi, je crois, les yeux fermés, que le voyageur qui navigue sur la mer s’expose à une fin déplorable quand il veut enlever au pilote le gouvernement du vaisseau. Les schismes et les hérésies se produisent d’abord sous un masque de piété, et rejettent bientôt un déguisement. Prenez garde, seigneur, de vous laisser glisser peu à peu sur une pente rapide où la chute à la fin est inévitable. Le souverain pontife est le représentant de Dieu, et comme Dieu même il peut tout : voilà ce qu’on m’a enseigné et ce que je sais. C’est à lui que j’en appelle, et j’irai à Rome lui demander justice. Je pourrais, il est vrai, me retirer en Espagne, où le victorieux Charles me donnerait son appui : mais cet appui je ne le désire ni ne l’invoque ; car je ne veux pas demander vengeance contre vous ; car si j’avais pu un moment solliciter une vengeance, mon cœur, oui, mon cœur même vous servirait de bouclier, et c’est sur lui que j’appellerais tous les coups qui vous seraient destinés. Je ne veux pas, non plus, me retirer comme religieuse dans un couvent ; car si je suis mariée, vainement prendrais-je un autre état. Ainsi donc je demeurerai dans un de vos palais, sous un toit que vous aurez habité, et là quand je mourrai, on saura que je vous ai toujours aimé et reconnu pour mon maître et mon bien, pour mon roi et mon époux. — (Le Roi se lève et s’éloigne peu à peu accompagné de Wolsey.) Quoi ! vous vous éloignez ?… Mais, hélas ! si je dois vous voir irrité, il vaut mieux que je ne vous voie pas ; il vaut mieux que je meure et que je vous épargne de nouveaux ennuis. (Le Roi sort.) Hélas ! infortunée, le soleil qui m’éclairait a disparu, et me voilà plongée dans les ténèbres.

charles.

Je n’ai jamais vu un spectacle plus triste.

le capitaine.

Quelle tyrannie !

Il sort.
boleyn.

Quelle cruelle injure !

charles.

Je vais porter en France cette nouvelle ; et puisque le mariage