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à Paris, la première troupe de bouffons. Gluck, Piccini, Sacchini, y furent successivement attirés. Ces compositeurs célèbres, et particulièrement le premier, furent traités avec distinction à la cour ; Gluck, dès l’instant de son arrivée en France, eut ses entrées à la toilette de la reine, et tout le temps qu’il y restait, elle ne cessait de lui adresser la parole. Elle lui demandait un jour s’il était près de terminer son grand opéra d’Armide, et s’il en était satisfait ; Gluck lui répondit de l’air le plus froid et avec son accent allemand : Madame, il est bientôt fini, et vraiment ce sera superbe. Son sentiment, aussi naïvement exprimé, fut confirmé ; et la scène lyrique n’a sûrement pas de pièce d’un plus grand effet. On se récria beaucoup sur la confiance avec laquelle cet artiste venait de parler d’une de ses productions[1] ; la reine le défendit avec chaleur : elle prétendait qu’il ne pouvait pas ignorer le mé-

  1. La modestie n’était pas la vertu de Gluck. Madame de Genlis dit dans ses Souvenirs qu’il parlait de Piccini avec justice et simplicité. « On sent, ajoute-t-elle, que c’est sans ostentation qu’il est équitable. Cependant il dit hier que, si le Roland de Piccini réussit, il le refera. Ce mot est remarquable, mais il est d’un genre qui ne me plaira jamais. Un langage constamment modeste est de si bon goût ! »

    Gluck avait souvent à traiter avec des amours-propres qui valaient bien le sien. Il montra beaucoup de répugnance à placer de longs ballets dans Iphigénie. Vestris regrettait vivement que cet opéra ne fût pas terminé par un morceau qu’on appelait chaconne, et dans lequel le dieu de la danse déployait tous ses talens. Il s’en plaignit à Gluck : celui-ci, qui traitait son art avec toute la dignité