Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/253

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

valets de chambre, les huissiers prenaient au collet les curieux indiscrets qui ne s’empressaient pas de sortir pour dégager la chambre. Cette cruelle étiquette fut pour toujours abolie. Les princes de la famille, les princes du sang, le chancelier, les ministres suffisent bien pour attester la légitimité d’un prince héréditaire. La reine revint des portes de la mort : elle ne s’était point senti saigner, et demanda, après avoir été replacée dans son lit, pourquoi elle avait une bande de linge à la jambe.

Le bonheur qui succéda à ce moment d’alarmes fut aussi excessif que sincère. On s’embrassait, on pleurait de joie. Le comte d’Esterhazy et le prince de Poix, à qui j’annonçai la première que la reine venait de parler, et qu’elle était rappelée à la vie, m’inondèrent de leurs larmes, en m’embrassant au milieu du cabinet des nobles… En me rappelant ces épanchemens de bonheur, ces transports d’allégresse, au moment où le ciel nous rendit cette princesse chérie de tous ceux qui lui étaient attachés, combien de fois j’ai pensé à cette impénétrable et salutaire obscurité qui nous dérobe la connaissance de l’avenir. Si, dans l’ivresse de notre joie, une voix céleste, dévoilant l’ordre secret de la destinée, nous eût crié : « Ne bénissez pas cet art des humains qui la ramène à la vie ; pleurez plutôt sur son retour dans un monde funeste et cruel pour l’objet de ses affections. Ah ! laissez-la le quitter honorée, chérie, regrettée. Vous verserez hautement des pleurs sur sa tombe, vous pourrez la