Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

niait ses plus innocentes démarches. « Ce qui au premier coup-d’œil, (dit Montjoye, dont certes les opinions ne sont pas suspectes), semble inexplicable, et navre de douleur, c’est que les premiers coups portés à la réputation de la reine sont sortis du sein de la cour. Quel intérêt des courtisans pouvaient-ils avoir à désirer sa perte, qui entraînait celle du roi ; et n’était-ce pas tarir la source de tout le bien dont ils jouissaient, et de celui qu’ils pouvaient espérer ? »

Mais ces biens, ces faveurs n’étaient plus l’héritage exclusif de quelques familles puissantes. La reine, dans leur distribution, s’était cru permis de consulter quelquefois ses affections et d’autres droits que ceux d’une antique origine : « Qu’on juge, ajoute Montjoye, du dépit et de

    cour des derniers Valois, n’étaient point adoptés sans motif ; que ces ajustemens, indifférens en apparence, éloignaient bien réellement toute idée de galanterie.

    Quoiqu’une semblable précaution puisse paraître au moins singulière à la cour dissolue d’Henri III, je ne prétends pas nier l’efficacité des vertugadins. Je citerai seulement sur ce sujet une petite anecdote rapportée par La Place.

    « M. de Fresne Forget, étant chez la reine Marguerite, lui dit un jour qu’il s’étonnait comment les hommes et les femmes, avec de si grandes fraises, pouvaient manger du potage sans les gâter, et surtout comment les dames pouvaient être galantes avec leurs grands vertugadins. La reine alors ne répondit rien ; mais quelques jours après, ayant une très-grande fraise et de la bouillie à manger, elle se fit apporter une cuiller qui était fort longue, de façon qu’elle mangea sa bouillie sans

    salir sa fraise. Sur quoi, s’adressant à M. de Fresne : « Eh bien, lui dit-elle en riant, vous voyez bien qu’avec un peu d’intelligence on trouve remède à tout. — Oui da ! Madame, lui répondit le bonhomme ; quant au potage, me voilà satisfait. » (Tom. II, pag. 350 du recueil de La Place.)