Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/327

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’honneur d’être rangés parmi les esprits supérieurs : il faisait dire à son Figaro, qu’il n’y avait que les petits esprits qui craignissent les petits écrits. Le baron de Breteuil, et tous les hommes de la société de madame de Polignac, étaient rangés parmi les plus ardens protecteurs de cette comédie. Les sollicitations auprès du roi devenaient si pressantes, que Sa Majesté voulut juger elle-même un ouvrage qui occupait autant la société, et fit demander à M. Le Noir, lieutenant de police, le manuscrit du Mariage de Figaro. Je reçus, un matin, un billet de la reine qui m’ordonnait d’être chez elle à trois heures, et de ne point venir sans avoir dîné, parce qu’elle me garderait fort long-temps.

Lorsque j’arrivai dans le cabinet intérieur de Sa Majesté, je la trouvai seule avec le roi ; un siége et une petite table étaient déjà placés en face d’eux, et sur la table était posé un énorme manuscrit en plusieurs cahiers ; le roi me dit : « C’est la comédie de Beaumarchais, il faut que vous nous la lisiez ; il y aura des endroits bien difficiles à cause des ratures et des renvois ; je l’ai déjà parcourue, mais je veux que la reine connaisse cet ouvrage. Vous ne parlerez à personne de la lecture que vous allez faire. »

Je commençai. Le roi m’interrompait souvent par des exclamations toujours justes, soit pour louer, soit pour blâmer. Le plus souvent il se récriait : « C’est de mauvais goût ; cet homme ramène continuellement sur la scène l’habitude des Concetti italiens. »