Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/372

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

assez fait pour la cour de Vienne, et détruire, à tout prix, les obstacles qui s’élèveraient à ses plans. Né avec une fortune au-dessous de la médiocre, et ayant peu à perdre, son système lui offrait la perspective de cette pompe et de cette puissance que nous lui avons vues. Pour s’y élever et s’y maintenir, il avait dans la légation de Vienne, dans madame de Grammont, sa sœur, femme profonde et hardie, et dans la favorite du roi, un conseil pourvu de moyens assez puissans pour arriver à ses fins.

Le duc d’Aiguillon, son ennemi, avait des principes bien différens. Toujours appuyé en secret du dauphin, pour toutes les oppositions contre la nouvelle politique, héritier des maximes de Richelieu, son grand-oncle, qui avait établi en France le despotisme, et qui était le fondateur de la haine des Bourbons contre la maison d’Autriche, il était peu capable d’administrer les affaires d’État, autrement qu’en suivant le système du gouvernement militaire : ami du dauphin, il gémissait chaque jour avec lui, mais en silence, de l’alliance autrichienne ; il aimait les jésuites, il était l’ennemi secret des parlemens qui montraient une plus grande inclination pour la liberté. Il haïssait les philosophes novateurs, et il formait un parti puissant à la tête des jésuites de St.-Sulpice et des dévots de la cour. Le parti de Choiseul avait tout à craindre ; le parti d’Aiguillon avait tout à espérer d’un changement de règne et de l’avénement du dauphin à la couronne. Tels étaient les deux personnages et les deux systèmes contradictoires du gouvernement, qui agitèrent la France vers la fin du règne de Louis XV.

D’un côté, le duc de Choiseul, avec son alliance autrichienne, ses jansénistes, ses parlemens et ses philosophes, attaque les jésuites dans l’intérieur, et sacrifie au-dehors la gloire et la prépondérance de la France, aux intérêts et à la vanité de la maison d’Autriche. D’un autre côté, le duc d’Aiguillon, s’unissant aux jésuites, soit pour les sauver,