Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 1.djvu/412

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il y avait deux hommes dans Louis XVI, l’homme qui connaît et l’homme qui veut. La première de ces qualités était très-étendue et très-variée ; le roi savait à fond l’histoire de sa famille et des premières maisons de France. C’est lui qui composa les instructions pour le voyage autour du monde de M. de La Peyrouse, que le ministre crut dressées par plusieurs membres de l’Académie des Sciences.

Il avait dans la mémoire une infinité de noms et de localités. Il se ressouvenait à merveille des quantités et des nombres. On lui présentait un jour un compte rendu, dans lequel le ministre avait mis au rang de la dépense un article inséré dans le compte de l’année précédente. « Voilà un double emploi, dit le roi ; rapportez-moi le compte de l’année dernière, je vous montrerai qu’il s’y trouve. »

Quand le roi possédait parfaitement une affaire de détail, et lorsqu’il voyait la justice lésée, il était dur jusqu’à la brutalité. Une injustice criante le faisait sortir de son caractère ; alors il voulait être obéi sur-le-champ, pour être sûr de l’être et pour prévenir une négligence à cet égard.

Mais, dans les grandes affaires d’État, le roi qui veut et qui ordonne ne se trouvait nulle part. Louis XVI était sur le trône ce que sont dans la société ces tempéramens faibles que la nature a rendus même incapables d’une opinion. Dans sa pusillanimité, il donnait sa confiance à un ministre, et quoiqu’il connût dans la variété des avis de son conseil celui qui était le meilleur, jamais il n’eut la force de dire : C’est l’avis d’un tel que je préfère. Là fut la source des malheurs de l’État. (Mém. hist. et polit. du règne de Louis XVI, par Soulavie, tom. II.)