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« Vous êtes encore à Versailles, monsieur d’Orville ? — Monsieur, lui répondit ce brave capitaine, vous pouvez le remarquer à cette feuille de parquet sur laquelle je me place constamment ; elle est déjà enfoncée de quelques lignes par le poids de mon corps. » Cette réponse circula dans Versailles ; je la sus.

La reine se mettait assez souvent à la fenêtre de sa chambre à coucher, pour reconnaître avec sa lorgnette les gens qui se promenaient dans le parc. Quelquefois elle demandait à ses femmes les noms des gens dont les figures lui étaient inconnues. Un jour elle y vit passer le chevalier d’Orville, et me demanda le nom de ce chevalier de Saint-Louis, qu’elle rencontrait partout et depuis bien du temps. Je savais son nom, je lui contai son histoire. « Il faut finir cela, dit la reine avec un peu de vivacité. J’en demande bien pardon aux protecteurs de cour, mais l’exemple d’une semblable indifférence est faite pour décourager le militaire : on peut être un bien brave homme et n’avoir pas de protecteurs. — Cela sera fait quand Votre Majesté le voudra, repris-je. — Oui, oui, » dit la reine sans s’expliquer davantage et tournant sa lunette vers quelques autres promeneurs. Le lendemain, en traversant la galerie pour aller à la messe, la reine aperçoit le chevalier d’Orville : elle s’arrête, va droit à lui. Le pauvre homme se reculait dans une embrasure de croisée, regardant à sa droite et à sa gauche pour découvrir la per-