Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/201

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Avant peu j’aurai des lettres de toi ; j’espère qu’elles se succéderont ; tu aimes à écrire, et tu sais quel plaisir tu me procures. Nous partirons pour Fréville le 1er mai, et nous y resterons jusqu’à la petite Fête-Dieu. Mon oncle désire nous garder pour cette époque ; la pompe de cette cérémonie l’occupe infiniment ; chaque année, je lui porte quelque broderie ou quelques vases garnis de fleurs de ma façon ; il aime à prier pour son enfant chéri au pied d’un autel orné de ses mains. Il m’entretiendra beaucoup de toi : la visite que tes parens lui firent, il y a cinq ans, est un moment de bonheur dont il parle souvent ; c’était aussi dans le temps de la Fête-Dieu ; il rétablissait alors son église ; la tristesse que lui avait laissée l’époque des persécutions n’avait pas encore été effacée par des temps plus heureux. Ton père portait cet uniforme de général français devant lequel mon oncle avait été forcé de fuir en Allemagne ; cette vue lui donnait de tristes souvenirs : mais lorsque le général, couvert de ces mêmes broderies qui avaient peu de temps auparavant causé l’effroi de mon oncle, se mit à marcher à la suite de la procession, avec sa contenance noble et martiale, et qu’en se retournant pour bénir le peuple, mon oncle vit ton père à genoux, pénétré de cette humilité chrétienne que les chevaliers des temps passés alliaient si bien à la valeur, les yeux de mon vénérable oncle se remplirent de larmes, tous les malheurs de son exil s’effacèrent en un instant de sa mémoire, et, re-