Page:Campan - Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, tome 3.djvu/41

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entendu dire que les étrangers y étaient toujours très-bien traités, s’avisèrent de se costumer parfaitement en Arméniens, et de se présenter de cette manière, pour voir le grand cérémonial de la réception de plusieurs chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit. Leur ruse obtint tout le succès dont ils s’étaient flattés. Lorsque la procession défila dans la longue galerie de glaces, les suisses des appartemens les mirent sur le premier rang, et recommandèrent à tout le monde d’avoir beaucoup d’égards pour ces étrangers ; mais ils firent l’imprudence de pénétrer dans l’œil-de-bœuf. Là se trouvaient messieurs Cardonne et Ruffin, interprètes des langues orientales, et le premier commis des consulats, chargé de veiller à tout ce qui concernait les Orientaux qui étaient en France. Aussitôt les trois écoliers sont environnés et questionnés par ces messieurs, d’abord en grec moderne. Sans se déconcerter, ils font signe qu’ils n’entendent pas. On leur parle turc, arabe ; enfin un des interprètes, impatienté, leur dit : « Messieurs, vous devriez entendre une des langues qui vous ont été parlées ; de quel pays êtes-vous donc ? — De Saint-Germain-en-Laye, Monsieur, reprit le plus confiant. Voilà la première fois que vous nous le demandez en français. » Ils avouèrent alors le motif de leur travestissement ; le plus âgé d’entre eux n’avait pas dix-huit ans. On en rendit compte à Louis XV ; il en rit beaucoup. Il ordonna quelques heures à la geôle, et que la liberté leur