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sitions exigeaient, en faveur de ses adversaires, l’abandon de la protection des manufactures que Colbert avait établies, il n’y a pas lieu d’être surpris que la condition du peuple, à l’époque de sa mort, ait été misérable à un point que nous pouvons à peine concevoir aujourd’hui ; ni que le règne de son successeur ait été remarquable par la faiblesse du mouvement social, par l’absence presque absolue du commerce, par la réduction dans le prix des subsistances, par l’impossibilité de trouver les moyens d’acheter celles-ci, et par une dépression générale des intérêts agricoles, résultat de l’annihilation presque complète des intérêts de l’industrie[1].

§ 5. — La politique de Colbert soutenue par Turgot. Son abandon par les négociateurs du traité d’Eden. Il en résulte l’anéantissement du commerce. La pauvreté du peuple conduit à la révolution. Restauration du système de Colbert. Accroissement extraordinaire de la valeur-monnaie des produits de l’agriculture française.

Un siècle après Colbert, nous trouvons Turgot, animé des mêmes idées, travaillant à affranchir la terre et le travail, des millions de monopoles qui existaient encore et retardaient le développement du commerce. L’intervalle pendant lequel il occupa le poste de contrôleur général des finances, nous présente une série continue d’édits ayant pour but d’abolir les privilèges exclusifs, et d’affranchir le travailleur de la domination des corporations composées d’individus « qui vivaient et jouissaient de leur existence, en vertu du droit qui leur avait été garanti jusqu’à ce jour, de se placer entre ceux qui avaient besoin de consommer et ceux qui travaillaient pour produire. Sa carrière de ministre fut courte, mais si elle se fût prolongée, il eût réalisé probablement la prédiction qu’il avait faite au roi, que dans dix ans, on ne reconnaîtrait pas la nation qu’il avait trouvée, lorsqu’il était entré en fonctions. Mais ce laps de temps ne lui fut pas accordé. Son administration ne dura que trois ans, et à leur expiration, disparut tout espoir de résoudre pacifiquement les embarras financiers de l’État, ou les charges qui pesaient sur le peuple. Théoriquement, Turgot était opposé à l’idée d’accorder protection au fermier, dans le but de seconder les efforts de celui-ci pour se rapprocher du consomma-

    tous contenaient des dispositions annulant le tarif de Colbert de 1667 ; l’un d’eux allait même jusqu’à limiter le pouvoir du roi d’accorder sa protection à ses sujets. L’histoire ne fournit pas de preuve plus solide de l’étroite alliance qui existe entre la faiblesse d’un État et la centralisation, que celle que trouvons dans les annales du règne de Louis XIV.

  1. Voy. pour la condition du peuple sous le règne de Louis XV, le tom. I, chap. ix, § 11, p. 286-287.