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le faire monter dans son train car il n’en était pas capable et ennuierait tout le monde. Quel voyage !!


Un soir on atteignit Beaune. Les hôtels n’y fourmillent pas et tout une armée de Prussiens y était installée. Il fallait y coucher. Ni chemin de fer, ni voiture, mais un coucou, une sorte de caricolo, datant du déluge, partirait peut-être le lendemain pour Dijon. Il fallait toutefois retenir ses places ! Quant à trouver un gîte, inutile.

Fatiguée d’avoir erré aux quatre coins de la petite ville, j’étais venue m’échouer sur un banc de pierre d’une place, d’un cours… je crois. Je n’avais plus qu’une idée : passer la nuit sur ce banc. On y coucherait voilà tout.

Devant moi passaient des officiers prussiens, raides, gourmés, gonflés de morgue ; ils faisaient claquer sabres et éperons. Ils me rappelaient ces grands échassiers lourds et empesés. Leurs grandes bottes bien étroites exagéraient encore cette ressemblance. L’officier prussien cherche et veut être élégant, sa mise cherche aussi l’effet, mais ces silhouettes carrées se retournant tout d’une pièce, n’ont aucune grâce du moins à mes yeux. Je les regardais d’ailleurs, ce jour-là, sans les voir, ces êtres d’orgueil…

Une jeune femme passa, simplement habillée (elle me fit l’effet d’une ouvrière bien mise), elle regarda le groupe misérable que nous composions sur ce banc : « Oh ! les jolis bébés… Madame est sans doute étrangère et ne peut trouver de chambres. À Beaune les Prussiens ont tout pris. Je ne suis qu’une ouvrière mais si Madame voulait venir dans mon logement, il est propre et elle pourrait s’y reposer, elle et ses bébés, pour cette nuit. » — « Oh ! bien volontiers. » et reprise d’un peu de courage, je suivis la gentille inconnue. Chez elle, une grande chambre convenable, un bon lit me fut offert, une sorte de canapé fut arrangé pour le lit des enfants. Les deux femmes se casèrent je ne sais où. On mit le couvert sur la table et je me reposai dans un grand fauteuil, pendant qu’on allait dans un restaurant chercher quelque chose à manger.