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Première page du manuscrit
Première page du manuscrit


En route pour Marsac


Un beau jour je trouvais, à prix d’or, une voiture pour me conduire à Chagny avec les bébés[1], la nourrice et une femme de chambre.

Aux avant-postes je n’eus pas trop de difficultés, grâce au laisser-passer du général prussien[2]. On me fit bien des questions, on retourna bien mon papier, mais avec une certaine politesse. À Beaune, pendant que les chevaux soufflaient, les fortes têtes du cru entourèrent ma voiture ; on demandait des nouvelles : où étaient les Prussiens ? etc… Je dus, debout sur le marchepied de la portière ouverte, calmer la foule et lui donner l’assurance que l’ennemi installé à Dijon n’avait pas encore dépassé la ville.

La petite bonne femme que j’étais alors, s’amusait du rôle de crieur public qu’elle adoptait pour rassurer les esprits.

Avant d’arriver à Chagny j’aperçus des francs-tireurs couchés dans les fossés ; ils levèrent la tête en voyant une voiture, puis un corps se dressa, faisant signe d’arrêter. On avait tiré sur leur groupe et des balles avaient troué leurs manteaux. Je rassurai également ses hommes leur disant que je venais de croiser un peloton de gendarmes français et redis encore que les Allemands n’avaient pas dépassé Dijon. Les bons Francs-tireurs, contents avec cela, purent continuer leur route autrement qu’à quatre pattes dans les fossés et les trop vifs gendarmes tirer encore ailleurs, sur des ennemis imaginaires (ils tapent généralement toujours à gauche ces braves gendarmes). Le cocher de la voiture a trouvé, en effet, une balle sur le caisson. J’avais bien entendu un petit bruit sec mais je croyais que c’était un caillou… Braves gens ! Ils ont fait coup double, le manteau du franc-tireur et le caisson d’une voiture ! C’est là un fait d’armes qu’ils vont conter à Beaune et ils croiront avoir bien mérité de la Patrie.

  1. La guerre de 1870 vient de commencer, le commandant Henry de Malartic est parti pour Langres avec son régiment. Voir note 3 et 4 dans l’avant-propos. La Vicomtesse quitte Dijon,… La famille résidait encore à Chaumont à la naissance de Marie Édith le 23 juin 1869. La famille ne devait résider que depuis peu à Dijon, probablement août-septembre 1869, au 3 rue Longepierre où la vicomtesse accouchera de son troisième enfant, Robert, le 15 juin 1871, au retour de son périple dans le midi. En tenant compte de la date de cette naissance son départ n’a pu avoir lieu que dans l’intervalle des 9 mois précédents donc pas avant le 15 septembre 1870. Probablement fin septembre.… pour se réfugier dans le midi chez ses cousins de Marsac,… Cousins par alliance, voir note 2 dans l’avant-propos.… avec ses deux enfants, Jehan né en 1868 et Édith née en 1869.
  2. Il fallait un laisser-passer de l’autorité occupante.