Page:Carnoy - Littérature orale de la Picardie.djvu/12

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arrière pour se donner le temps de s’avancer de quelques pas au devant de son redoutable compagnon de route. Le loup se recula pour saisir le morceau de galette et ne se fit pas prier pour le manger. Puis, en quelques bonds, il rejoignit le violoneux et se mit à lui marcher sur les talons. À chaque instant le paysan se croyait sur le point d’être dévoré par le loup, et il essayait de retarder ce moment critique en abandonnant à l’animal un nouveau morceau de la galette. Mais ceci ne pouvait durer bien longtemps ; la galette s’épuisait, et au bout de trois quarts d’heure environ, l’homme en jetait le dernier morceau au loup affamé.

Cette fois, sa dernière espérance de salut s’était évanouie. Personne au monde ne pouvait lui porter secours à une heure si tardive, au beau milieu d’une forêt si grande que la forêt d’Heilly. Il lui fallait se préparer à mourir, dévoré vivant par l’animal. Le pauvre violoneux fit son acte de contrition, demanda pardon au Seigneur de ses péchés, et, ayant ainsi réglé ses affaires de conscience, il voulut avant de mourir jouer une dernière fois de son violon, de son instrument favori avec lequel il avait fait danser tant de « branles » et de « cotillons. »