Page:Caro - George Sand, 1887.djvu/115

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facilement égarés. Cette idée, qui résume en effet la morale sociale, avait pris chez elle une importance et une sorte de royauté intellectuelle : le devoir de sortir de soi. Elle avait fini par comprendre, à force de douloureuses expériences, ce qu’il y a d’égoïsme implacable dans la passion. Elle avait fini par concevoir que la vraie vie, c’est de penser non toujours à soi et pour soi, mais aux autres et pour les autres, et aussi à tout ce qui est grand, noble et beau, à tout ce qui peut nous distraire de ce moi, toujours prêt à se prendre pour l’objet de sa monotone analyse et de sa lugubre idolâtrie.

C’est par ce grand côté de sa nature, la sensibilité toute prête et la bonté absolue, qu’elle avait été si facilement prise par les thèses sociales émergées du cerveau de chaque réformateur en disponibilité. Ces thèses elles-mêmes, qu’était-ce, sinon des formes variées de l’utopie qui l’avait séduite dès son enfance et dont le premier mobile avait été le sentiment profond du mal humain, du mal social ; utopie qui pouvait se croire innocente et sainte tant qu’elle n’avait pas essayé de régner en dehors des imaginations et des cœurs, et qu’elle n’avait pas encore tenté la force comme dernier moyen d’apostolat ?

« Il n’y a en moi, disait-elle un jour, rien de fort que le besoin d’aimer. » C’est par ce besoin d’aimer qu’elle parvint à maintenir en elle, au-dessus des tentations du doute et même un peu contre l’opinion