Page:Caro - George Sand, 1887.djvu/21

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drap gris, ou bien encore à la suivre avec ses amis berrichons au restaurant Pinson, à l’estaminet, aux musées, aux concerts, au parterre des théâtres le soir des premières représentations, naïvement curieuse de tout ce qui intéressait alors la jeunesse intelligente, de tous les événements littéraires et politiques des assemblées, des clubs et de la rue, qui donc reconnaîtrait dans cet étudiant quelque peu tapageur l’élève mystique du couvent des Anglaises, l’humble et douce amie de la sœur Alicia, ou bien encore la pastoure des champs du Berry, l’aventureuse et rêveuse enfant des bruyères et des bois ? Ce petit jeune homme déluré qui fait le soir de si gaies promenades dans le quartier Latin avec une troupe de camarades, sous la conduite d’un très vieux jeune homme vaniteux, Henri Delatouche, le chef de la bohème littéraire de ce temps,--cet observateur vagabond, ce novice romancier, c’est une femme, très sérieuse au fond, qui a connu déjà de mortelles tristesses, qui a beaucoup vécu par la douleur, si la douleur fait vivre, qui a souffert dans toutes ses affections intimes, qui a été meurtrie par tous les liens de la famille ; ces liens étaient même devenus pour elle un supplice insupportable par la fatalité des circonstances et sans doute aussi par cette autre fatalité que chacun porte en soi et dont chacun est l’industrieux et cruel artiste. Elle vient essayer de se refaire à Paris une existence nouvelle, en dehors de toutes les lois de l’opinion et de tous les instincts de son sexe. Elle veut mettre