Page:Caro - George Sand, 1887.djvu/28

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rappelant cette période de son enfance, ce qui se passe dans la tête de ces enfants qui vivent au milieu des scènes de la nature sans y rien comprendre, et qui ont l’étrange faculté de voir par les yeux du corps tout ce que leur imagination leur représente. » C’est là qu’elle s’essayait de bonne foi à ce genre d’hallucination particulière aux gens de la campagne, guettant l’apparition de quelque animal fantastique, le passage de la grand’bête que presque tous ses petits compagnons avaient vue au moins une fois. Elle était la première aux contes de la veillée, lorsque les chanvreurs venaient broyer le chanvre à la ferme. Malgré toute la bonne volonté qu’elle y mit, elle déclare qu’elle ne put jamais obtenir la moindre vision pour son compte ; elle ne put réussir à être complètement dupe d’elle-même ; mais l’ébranlement de l’imagination et des nerfs persistait ; elle en ressentait une sorte de frémissement et de volupté ; toute sa vie elle aima à raviver le plaisir frissonnant que lui donnaient les émotions de ce genre. De toutes ces inventions rustiques qu’elle recueillait avidement, de ces visions du soir qu’elle sollicitait dans la campagne, il y avait juste de quoi troubler un instant sa cervelle et lui ravir quelques heures de sommeil. Au fond, ce n’étaient que des matériaux qu’elle amassait dans son magasin d’images ; elle les accumulait dans son incessante rêverie, pour l’œuvre future dont elle n’avait pourtant aucune idée ; elle était artiste déjà et se dédoublait comme le font les artistes, à la fois auteur et acteur dans ces petits drames qu’elle