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IX 9
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elle sert à la soutenir, l’homme étant trop foible pour ne vouloir être vertueux que pour plaire uniquement à soi même. Je crois fabuleux cet Amphiaraus qui vir bonus esse quam videri malebat. Je crois enfin qu’il n’y a pas d’honete homme au monde sans quelqu’espèce de pretention ; et je vais parler de la mienne.

Je pretens à l’amitié, à l’estime, et à la réconnoissance de mes lecteurs. À leur reconnoissance, si la lecture de mes memoires les aura instruits, et leur aura fait plaisir. À leur estime, s’ils m’auront trouvé, me rendant justice, plus de qualités que de défauts ; et à leur amitié d’abord qu’ils m’en auront trouvé digne par la franchise, et la bonne foi avec la quelle je me livre sans nul déguisement tel que je suis à leur jugement.

Ils trouveront que j’ai toujours aimé la verité avec tant de passion, que souvent j’ai commencé par mentir pour la faire entrer dans les tetes qui n’en connoissoient pas les charmes. Ils ne me condamneront pas quand ils me verront vider la bourse de mes amis pour m’en servir à satisfaire à mes caprices. Ils avoient des projets chimeriques, et leur en faisant esperer la réussite, j’esperois en même tems de les guerir de leur folie les desabusant. Je les trompois pour les faire devenir sages ; et je ne me croyois pas coupable, car ce qui me fesoit agir n’étoit pas un esprit d’avarice. J’employois à payer à mes plaisirs des sommes destinées à parvenir à des possessions que la nature rend impossibles. Je me croirois coupable, si aujourd’hui je me trouvois riche. Je n’ai rien ; j’ai tout jeté, et cela me console, et me justifie. C’étoit un argent destiné à des folies : j’en ai detourné l’usage le fesant servir aux miennes.

Si dans l’espoir que j’ai de plaire je me trompe, j’avoue que j’en serois faché, mais non pas assez pour me repentir d’avoir écrit, car rien ne pourra faire que je ne me sois amusé. Cruel ennui ! Ce ne peut être que par oubli que les auteurs des peines de l’enfer ne t’y placèrent.

J’avouerai cependant que je ne peut pas me défendre de la crainte du sifflet. Elle est trop naturelle pour que j’ose me vanter d’y être superieur ; et je suis bien loin de me consoler esperant que quand mes