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Chapitre IX

Mon court heureux sejour à Naples. D. Antonio Casanova. D. Lelio Caraffa. Je vais à Rome en belle compagnie. J’entre au service du cardinal Acquaviva. Barbaruccia. Testaccio. Frascati.

Je ne me suis pas trouvé ambarassé à repondre à toutes les interrogations qu’il me fit ; mais j’ai je trouvois fort extraordinaires, et singuliers les continuels eclats de rire qui sortoient de sa poitrine à chaque response que je lui donnois. La description de la pitoyable Calabre, et de l’etat de l’eveque de Martorano faite pour faire pleurer promut son rire au point que j’ai cru qu’il lui deviendroit fatal.

Cet homme etoit gros gras, et rubicond. Croyant qu’il me baffonoit, je pensois à me facher, lorsqu’en fin devenu tranquille il me dit avec sentiment que je devois pardonner à son rire, qui venoit d’une maladie de famille, dont un de ses oncles étoit même mort. — Mort de rire ? — Oui. Cette maladie qu’Hypocrate n’a pas connue, s’appelle li flati — Comment ? Les affections hyppocondriaques, qui rendent tristes tous ceux qui les souffrent, vous rendent gai ? — Mais mes flati au lieu d’influer sur l’hypocondre m’affectent la rate, quie mon medecin reconnoit pour l’organe du rire. C’est une decouverte — Point du tout. Cette notion est meme tres ancienne — Voyez vous ! Nous parlerons de cela à table, car j’espere que vous passerez ici quelques semaines — Je ne peux pas. Apres demain, au plus tard je dois partir — Vous avez donc de l’argent ? — Je compte sur les soixante ducats que vous aurez la bonté de me donner.

Son rire recommença ; et il le justifia après par me dire qu’il avoit trouvé plaisante l’idee de me faire rester chez lui tant qu’il voudroit. Il me pria alors d’aller voir son fils qui à l’age de quatorze ans etoit deja grand poète.

Une servante m’ayant conduit à sa chambre, je fus enchanté de trouver dans ce jeune garçon une belle presence, et des manieres faites pour interesser au premier abord. Après m’avoir tres poliment accueilli il me demanda pardon s’il ne pouvoit pas s’occuper entierement de moi étant après à une chanson qui devoit aller à la presse le lendemain : c’étoit à l’occasion de la prise d’habit d’une parente de la