Page:Cazotte - Le Diable amoureux.djvu/153

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J’ai triomphé de la frayeur, déracinons un sentiment plus dangereux. Quelle douceur puis-je en attendre ? Ne tiendrait-il pas toujours de son origine ?

Le feu de ses regards si touchants, si doux, est un cruel poison. Cette bouche si bien formée, si coloriée, si fraîche, et en apparence si naïve, ne s’ouvre que pour des impostures. Ce cœur, si c’en était un, ne s’échaufferait que pour une trahison.

Pendant que je m’abandonnais aux réflexions occasionnées par les mouvements divers dont j’étais agité, la lune, parvenue au haut de l’hémisphère et dans un ciel sans nuages, dardait tous ses rayons dans ma chambre à travers trois grandes croisées.

Je faisais des mouvements prodigieux dans mon lit ; il n’était pas neuf ; le bois s’écarte, et les trois planches qui soutenaient mon sommier tombent avec fracas.

Biondetta se lève, accourt à moi avec le ton de la frayeur. « Don Alvare, quel malheur vient de vous arriver ? »

Comme je ne la perdais pas de vue, malgré mon accident, je la vis se lever, accourir ; sa chemise était une chemise de page, et au passage, la lumière de la lune ayant frappé sur sa cuisse, avait paru gagner au reflet.