Page:Cazotte - Le Diable amoureux.djvu/70

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le péché, des voiles obscurcissent la matière… Et moi, par une initiation que je n’ai point cherchée et que souvent je déplore, je les ai soulevés comme le vent soulève d’épais brouillards. Je vois le bien, le mal, les bons et les mauvais ; quelquefois la confusion des êtres est telle à mes regards, que je ne sais pas toujours distinguer au premier moment ceux qui vivent dans leur chair de ceux qui en ont dépouillé les apparences grossières…

» Oui, ajoutait-il, il y a des âmes qui sont restées si matérielles, leur forme leur a été si chère, si adhérente, qu’elles ont emporté dans l’autre monde une sorte d’opacité. Celles-là ressemblent longtemps à des vivants.

» Enfin, que vous dirai-je ? soit infirmité de mes yeux, ou similitude réelle, il y a des moments où je m’y trompe tout à fait. Ce matin, pendant la prière où nous étions réunis tous ensemble sous les regards du Tout-Puissant, la chambre était si pleine de vivants et de morts de tous les temps et de tous les pays, que je ne pouvais plus distinguer entre la vie et la mort ; c’était une étrange confusion, et pourtant un magnifique spectacle ! »

Madame d’Argèle fut témoin du départ du jeune Scévole Cazotte qui allait prendre du service dans les