Page:Cellini, Oeuvres completes, trad leclanché, 1847.djvu/109

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Sa Sainteté. Pas un jour ne s’écoulait sans que je tuasse quelqu’un des assiégeants. Une fois entre autres, le pape se promenait sur le bastion circulaire, lorsqu’il aperçut, dans les Prati, un colonel espagnol qu’il reconnut à certains signes, parce qu’il l’avait eu jadis à son service. Pendant qu’il parlait de cet officier en le regardant, moi qui ne savais rien de cela, j’étais à mon poste de l’Angiolo, d’où je voyais un homme, complétement vêtu de rouge, qui, une petite zagaie à la main, surveillait les travaux des tranchées. Après avoir ruminé les moyens de l’atteindre, je pris un galifalco, espèce de demi-coulevrine plus longue qu’un sacre ; j’en ôtai la charge, que je remplaçai par une forte quantité de poudre fine, mêlée avec de la poudre commune, et je visai ensuite attentivement l’homme rouge, en ayant soin de calculer une merveilleuse parabole ; car il était à une telle distance, que l’on ne pouvait espérer d’arriver autrement à lui, avec une semblable pièce d’artillerie. Je fis feu, et, au moment où mon officier, par une sorte de forfanterie espagnole, brandissait son épée devant lui, mon boulet le prit si bien au milieu du corps, qu’après qu’il eut frappé l’épée, on vit l’homme coupé en deux. Le pape, qui ne s’attendait pas à une telle chose, en fut aussi satisfait qu’émerveillé, tant parce qu’il croyait impossible qu’aucune pièce portât si loin, que parce qu’il ne concevait point comment cet homme avait été coupé en deux. Il m’envoya chercher et m’interrogea. Je lui expliquai la manière dont j’avais tiré ; mais ni l’un ni l’autre nous ne réussîmes à deviner la cause de l’étrange événement dont nous venions d’être témoins.

Je m’agenouillai, et je priai Sa Sainteté de m’absoudre de cet homicide et de tous ceux que j’avais commis dans ce château, pour le service de l’Église. Le pape leva aussitôt la main, traça sur moi le signe de la croix, et me dit qu’il me bénissait et me pardonnait tous les homicides que