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MEMOIRES DE BENVENUTO CELLINI

que vous ayez gaspillé si libéralement toute votre fortune, sans songer que vos enfants devaient un jour en avoir grand besoin. Quant à moi, j’ai l’intention d’agir tout différemment, je veux laisser à mes fils de quoi secourir un jour les vôtres. » — À quoi mon père répondit : — « Un mauvais arbre n’a jamais porté de bons fruits, tout au contraire, et de plus, je te dis que tu es un méchant homme et que tes fils seront fous et pauvres, et viendront demander la charité à mes enfants, qui seront habiles et riches. » — Là-dessus ils se séparèrent en grommelant l’un contre l’autre.

Je pris le parti de mon excellent père, et je lui dis, en sortant avec lui de la maison de Pierino, que je le vengerais des injures de ce ribaud, pourvu qu’il me permît de m’appliquer au dessin. — « Cher enfant, me dit mon père, moi aussi j’ai été bon dessinateur, mais en récompense de mes peines, mais pour l’amour de moi ton père qui t’ai donné le jour, qui ai soigné ton enfance, qui t’ai enseigné les principes de tant d’arts honorables, ne me promettras-tu pas de prendre quelquefois ta flûte et ton cornet et d’en jouer avec plaisir ? » — Je lui répondis que je le ferais volontiers pour l’amour de lui. — « Acquiers des talents, me dit-il alors, ce sera la meilleure vengeance que tu pourras tirer des injures de mes ennemis. »

Un mois ne s’était pas encore écoulé depuis cette scène, lorsqu’un jour Pierino, se trouvant avec plusieurs de ses amis dans une chambre du rez-de-chaussée de sa maison de la rue Dello Studio, au-dessus d’une voûte qu’il faisait construire, se mit à parler de mon père, son ancien maître, et à répéter les paroles que celui-ci lui avait dites en lui pronostiquant qu’il serait englouti. Aussitôt, soit que la voûte eût été mal jetée, soit par la volonté de Dieu qui n’attend pas au dernier jour pour châtier, il fut englouti. Les pierres et les briques qui le suivirent dans sa chute lui