Page:Cellini, Oeuvres completes, trad leclanché, 1847.djvu/55

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resté seul et voyant qu’aucun sbire ne m’observait, je sortis du palais et courus à ma boutique, où je m’armai d’un poignard ; puis je volai jusqu’à la maison de mes adversaires. Je les trouvai à table. Le jeune Gherardo, première cause de la querelle, se précipita aussitôt sur moi. Je lui portai à la poitrine un coup de poignard qui traversa de part en part son pourpoint, son collet et la chemise, mais sans lui effleurer la peau et sans lui causer le moindre mal. À la facilité avec laquelle mon arme pénétra et au craquement des habits déchirés par le fer, je crus avoir blessé grièvement mon ennemi, qui de terreur tomba à terre. — « Traîtres, m’écriai-je, voici le jour où je vais tous vous tuer. » — Le père, la mère et les sœurs, pensant que l’heure du jugement dernier avait sonné, se jetèrent à genoux, en implorant à grands cris miséricorde. Voyant qu’ils n’osaient se défendre et que Gherardo gisait sur le sol comme un cadavre, je jugeai honteux de les toucher, mais toujours furieux, je sautai au bas de l’escalier. Dans la rue je trouvai le reste de la famille, qui se composait d’une douzaine d’individus au moins. L’un avait une pelle de fer, l’autre un gros tuyau de même métal, ceux-ci des marteaux ou des enclumes, ceux-là des bâtons. Je me lançai au milieu d’eux comme un taureau furieux, et du choc j’en culbutai quatre ou cinq ; je les suivis dans leur chute, en continuant de jouer du poignard à droite et à gauche. Ceux qui étaient restés debout se ruèrent sur moi, en manœuvrant, à deux mains, marteaux, bâtons et enclumes ; mais Dieu, dont l’intervention secourable se manifeste parfois, voulut que je ne fisse ni ne reçusse le moindre mal. Je ne laissai sur le champ de bataille que ma barrette. Mes adversaires, qui d’abord s’étaient enfuis, s’en étant emparés, la frappèrent à qui mieux mieux, de leurs armes. Enfin, lorsqu’ils se mirent à compter leurs morts et leurs blessés, ils se trouvèrent tous en parfaite santé.