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le joueur de flûte.

Yasumasu regardait de tous ses yeux, de tout son esprit, regrettant seulement de ne pouvoir s’attarder longtemps à chaque chose, pressé qu’il était par son guide. Quelle habileté, quels soins, quels tours de main difficiles à acquérir il fallait sans doute pour mener à bien tous ces petits chefs-d’œuvre, et combien seraient incomplètes les notions qu’il pourrait rapporter à son peuple pour lui permettre de lutter contre des ouvriers aussi exercés que ceux-ci !

Lorsqu’enfin le prince se trouva devant le génie, affreux monstre accroupi sur une sorte de trône, au pied duquel sa femme, jeune et jolie, était assise :

— Depuis bien longtemps, dit le génie avec une grimace épouvantable, je n’avais pas vu ici un étranger ; il n’a pas fallu moins que le bruit de ta réputation et le désir exprimé par ma femme, Hitsuji, pour que je te demande d’exercer ton talent devant moi. Joue donc de la flûte, puisque tel est ton métier, tu n’auras pas à te repentir de ma générosité, si ta musique me plaît.

Le prince, sans répondre à ce peu aimable discours, commença sur la flûte ses airs les plus séduisants, espérant, par le pouvoir de cette musique à laquelle nul ne résistait, obtenir du génie l’aide qu’il était venu chercher. Mais, tandis que la belle Hitsuji, et tout son entourage, tandis que les officiers et les gardes eux-mêmes semblaient ravis par ces mélodies dont ils n’avaient jusque-là aucune idée, le génie gardait son air ennuyé et maussade. Enfin il fit un geste d’impatience, et dit d’une voix méprisante :

— C’est là cette musique dont on m’avait tant vanté la beauté ? C’est à peine si je l’entends, à tel point elle est molle et efféminée. On voit bien, flûtaillon de malheur, que tu n’as jamais fréquenté que des esclaves et des gens du peuple. Allons, va-t-en avec ton morceau de bois, et que je ne t’aperçoive plus dans les environs de mon domaine, occupé à distraire les ouvriers de leur travail !