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contes japonais.

Hélas ! il faut quitter le doux rêve ! Ne doit-on pas vivre, même lorsque meurent ceux qui vous sont chers ?

Et voilà Yatsushiro sur le fleuve bleu.

Mais sa pensée, de nouveau, s’en est allée ; ses yeux remplis de larmes ne voient pas le travail de ses mains, et ses idées fuient comme cette eau, qui heurte les flancs de son bateau et semble se reculer pour ne jamais revenir.

— « Où est-il, le vaillant Satzuki ? Ses bras nerveux, sa large poitrine l’auront tiré de bien des dangers ; de tels hommes ne peuvent mourir obscurément, au hasard d’un coup de vent ou d’un banc de corail que leur proue rencontre. Oh ! non, il reviendra ! »

Voilà qu’à ce moment un poisson gigantesque et d’une espèce inconnue se dresse devant la jeune fille et la regarde avec de grands yeux qui semblent vouloir parler, et ne pouvoir. Ce regard a une expression telle qu’il semble à Yatsushiro que ce poisson, venu de si loin sans doute, lui apporte des nouvelles de celui qu’elle attend.

Le poisson a évolué gracieusement ; puis de nouveau il revient vers la jeune fille et la fixe avec des yeux doux et tristes.

« Oh ! dis-moi, poisson, dis-moi, es-tu Satzuki le pêcheur, ou l’as-tu vu aux mers d’où tu viens ? Est-il encore sur son bateau chargé de butin, ou bien repose-t-il au fond de l’abîme ? Je me désespère et je pleure. Oh ! donne-moi un présage heureux, messager de mon bien-aimé ! »

Le poisson la regarde avec de grands yeux.

Malheur ! le poisson a replongé et il a reparu de l’autre côté de la barque, à gauche, pour la regarder encore et s’enfuir. Funeste présage : Satzuki est mort !

Yatsushiro regagne le rivage à la hâte ; elle court en sanglotant, pieds nus, cheveux et vêtements flottants, vers la maison paternelle. Sur son passage, les femmes sortent des yé couverts de paille et la suivent des yeux avec sympathie :

« C’est Yatsushiro, la mousmé aux perles de corail ! Comme elle pleure ! Son fiancé est mort, sans doute ».