Page:Cervantes-Viardot-Rinconète et Cortadillo.djvu/10

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soler pourtant, ils l’obligèrent à rester tranquille.

Cependant, Cortado et Rincon mirent tant de zèle à servir les voyageurs, que ceux-ci les prenaient en croupe presque tout le long du chemin ; et, bien que plusieurs occasions s’offrissent aux deux amis de palper les valises de leurs maîtres de rencontre, ils ne les mirent pas à profit, afin de ne pas perdre l’occasion, meilleure encore, de faire le voyage de Séville, où ils avaient grande envie de se voir arrivés. Néanmoins, lorsqu’ils entrèrent dans la ville, à l’heure de l’angelus, et par la porte de la Douane, à cause de la visite et des droits à payer, Cortado ne put se contenir, ni s’empêcher de fendre une valise que portait en croupe un Français de la compagnie. Avec son couteau jaune, il fit à cette valise une si large et si profonde blessure, qu’on lui voyait manifestement les entrailles. Il en tira fort subtilement deux bonnes chemises, une montre solaire et un livre de poche : toutes choses dont la vue ne l’enchanta pas beaucoup. Pensant que, puisque le Français portait cette valise en croupe, il devait l’avoir remplie d’objets plus pesants que ces prises légères, ils auraient bien voulu y remettre la main ; mais ils n’osèrent pas, imaginant qu’on se serait aperçu du dommage, et qu’on aurait mis le reste en sûreté. Ils avaient pris congé, avant de faire leur coup, de ceux qui les avaient nourris jusque-là, et le lendemain, ayant vendu les deux chemises au marché de friperie qui se tient à la porte de l’Arsenal, ils en tirèrent vingt réaux.

Cela fait, ils s’en allèrent voir la ville. La grandeur et la somptuosité de sa cathédrale les étonnèrent, ainsi que l’immense concours de gens travaillant au