Page:Cervantes-Viardot-Rinconète et Cortadillo.djvu/13

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dos tout ce marché. Et même, s’il est besoin que j’aide à la cuisine, je le ferai de très-bon cœur. » Le soldat fut charmé de la bonne grâce du jeune homme. « Si tu veux me servir, lui dit-il, je te tirerai de ce pauvre et bas métier. — Comme c’est le premier jour que je l’exerce, répondit Rincon, je ne veux pas le quitter sitôt, avant de voir au moins ce qu’il a de bon et de mauvais ; mais, dès que j’en aurai assez, je vous donne ma parole de vous servir par préférence à un chanoine. » Le soldat se mit à rire, le chargea de provisions, et lui montra la maison de sa dame, pour que Rincon la connût désormais, et qu’il n’eût plus besoin de l’accompagner, lorsqu’il l’y enverrait une autre fois. Rincon promit zèle et fidélité. Il reçut trois cuartos[1] du soldat, et revint d’un vol au marché, pour ne pas perdre une autre occasion. L’Asturien lui avait aussi recommandé cette diligence, et l’avait de plus averti que, lorsqu’il porterait du menu poisson, comme des goujons, des sardines ou des carrelets, il pouvait bien en prendre quelques-uns et en avoir l’étrenne, ne fût-ce que pour la dépense du jour ; mais que cela devait se faire avec beaucoup de prudence et de sagacité, afin de ne pas perdre la confiance, chose qui importait le plus dans ce métier-là.

Quelque hâte que mit Rincon à revenir, il trouva déjà Cortado à son poste. Celui-ci s’approcha de son camarade, et lui demanda comment la chance lui avait tourné. Rincon ouvrit la main, et montra les

  1. Le cuarto vaut quatre maravédis, à peu près les deux tiers d’un sou.