Page:Cervantes-Viardot-Rinconète et Cortadillo.djvu/7

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maître dans la science académique. Avec cela, je suis sûr de ne pas mourir de faim, car je n’arriverais qu’à une ferme isolée qu’il se trouverait bien quelqu’un pour passer un moment à jouer. Nous n’avons qu’à en faire nous deux l’expérience. Tendons le filet, et voyons s’il n’y tombera pas quelque oiseau, des muletiers qui sont ici ; je veux dire que nous jouions ensemble au vingt-et-un, comme si c’était tout de bon ; et si quelqu’un veut faire le troisième, il sera le premier à laisser la pécune. ― Très-volontiers, dit l’autre aussitôt ; et je tiens à grande faveur celle que votre grâce m’a faite en me racontant sa vie. Vous m’avez obligé à ne pas vous cacher la mienne, et, pour la dire en peu de mots, la voici :

« Je suis né à Pedroso, village situé entre Salamanque et Medina del Campo. Mon père est tailleur ; il m’apprit son métier, et de la coupe au ciseau, mon bon naturel aidant, je vins à couper les bourses. La vie mesquine du village m’ennuya, ainsi que les mauvais traitements de ma belle-mère. Je quittai le pays et vins à Tolède exercer mon état, où j’ai fait des merveilles, car il n’y a ni reliquaire pendu aux coiffes, ni poches si bien cachées que mes doigts ne visitent et que mes ciseaux ne coupent, les gardât-on avec des yeux d’Argus. En quatre mois que je restai dans cette ville, je ne fus ni pris entre deux portes, ni réveillé en sursaut, ni poursuivi de recors, ni dépisté de mouchards. A la vérité, il y a huit jours qu’un espion double[1] fit part de mon habileté au corrégidor, lequel, enchanté de mes petits talents, aurait désiré me voir

  1. Alguazil qui sert la justice et prévient les voleurs.