Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/104

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boureur de son propre village, et demeurant tout près de sa maison, lequel venait de conduire une charge de blé au moulin. Voyant cet homme étendu, il s’approcha, et lui demanda qui il était, et quel mal il ressentait pour se plaindre si tristement. Don Quichotte crut sans doute que c’était son oncle le marquis de Mantoue ; aussi ne lui répondit-il pas autre chose que de continuer son romance, où Baudouin lui rendait compte de sa disgrâce, et des amours du fils de l’empereur avec sa femme, tout cela mot pour mot comme on le chante dans le romance[1]. Le laboureur écoutait tout surpris ces sottises, et lui ayant ôté la visière, que les coups de bâton avaient mise en pièces, il lui essuya le visage qu’il avait plein de poussière ; et dès qu’il l’eut un peu débarbouillé, il le reconnut. « Eh, bon

  1. Ce romance, en trois parties, dont l’auteur est inconnu, se trouve dans le Cancionero, imprimé à Anvers, en 1555. On y rapporte que Charlot (Carloto), fils de Charlemagne, attira Baudouin dans le bocage de malheur (la fioresta sin ventura), avec le dessein de lui ôter la vie et d’épouser sa veuve. Il lui fit, en effet, vingt-deux blessures mortelles, et le laissa sur la place. Le marquis de Mantoue, son oncle, qui chassait dans les environs, entendit les plaintes du blessé, et le reconnut. Il envoya une ambassade à Paris pour demander justice à l’empereur, et Charlemagne fit exécuter son fils.