Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/117

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portant le même titre, mais dont l’auteur est Gil Polo. — Pour celle du Salmantin[1], répondit le curé, qu’elle aille augmenter le nombre des condamnés de la basse-cour ; et qu’on garde celle de Gil Polo[2] comme si elle était d’Apollon lui-même. Mais passons outre, seigneur compère, et dépêchons-nous, car il se fait tard. — Celui-ci, dit le barbier, qui en ouvrait un autre, renferme les Dix livres de Fortune d’amour, composés par Antonio de Lofraso, poëte de Sardaigne[3]. — Par les ordres que j’ai reçus, s’écria le curé, depuis qu’Apollon est Apollon, les muses des muses et les poëtes des poëtes, jamais on n’a composé livre si gracieux et si extravagant. Dans son espèce, c’est le meilleur et l’unique de tous ceux qui ont paru à la clarté du jour, et qui ne l’a pas lu peut se vanter de n’avoir jamais rien lu d’amusant. Amenez ici, compère, car je fais plus de cas de l’avoir trouvé que d’avoir reçu en cadeau une soutane de taffetas de Florence. » Et il le mit à part avec une grande joie.

« Ceux qui suivent, continua le barbier, sont le Pasteur d’Ibérie[4], les Nymphes de Hénarès[5], et les Remèdes à la jalousie[6]. — Il n’y a rien de mieux à faire, dit le curé, que de les livrer au bras séculier de la gouvernante, et qu’on ne me demande pas le pourquoi, car je n’aurais jamais fini. — Voici maintenant le Berger de Philida[7]. — Ce n’est pas un berger, dit le curé, mais bien un sage et ingénieux courtisan. Qu’on le garde comme une relique. — Ce grand-là qui vient ensuite, dit le barbier, s’intitule Trésor de poésies variées[8]. — Si elles étaient moins nombreuses, reprit le curé, elles n’en vaudraient que mieux. Il faut que ce livre soit sarclé, échardonné, et débarrassé de quelques bassesses qui nuisent à ses grandeurs. Qu’on le garde pourtant, parce que son auteur est mon ami, et

  1. Salmantin veut dire de Salamanque. C’était un médecin de cette ville, nommé Alonzo Perez.
  2. Poëte valencien, qui continua l’œuvre de Montemayor, sous le titre de Diana enamorada.
  3. Voici le titre de l’ouvrage : Les dix livres de Fortune d’amour, où l’on trouvera les honnêtes et paisibles amours du berger Frexano et de la belle bergère Fortune. Barcelone, 1573.
  4. Par Don Bernardo de la Vega, chanoine de Tucuman. Séville, 1591.
  5. Par Bernardo Gonzalez de Bobadilla. Alcala, 1587.
  6. Par Bartolome Lopez de Enciso. Madrid, 1586.
  7. Par Luis Galvez de Montalvo. Madrid, 1582.
  8. Par don Pedro Padilla. Madrid, 1575.