Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

baisers et les baigne de ses larmes ; ils se concertent sur la manière de se faire savoir leurs bonnes ou mauvaises fortunes, et la princesse le supplie d’être absent le moins long temps possible ; il lui en fait la promesse avec mille serments, et, après lui avoir encore une fois baisé les mains, il s’arrache d’auprès d’elle avec de si amers regrets qu’il est près de laisser là sa vie ; il regagne son appartement, se jette sur son lit, mais ne peut dormir du chagrin que lui cause son départ ; il se lève de grand matin, va prendre congé du roi, de la reine et de l’infante ; mais les deux premiers, en recevant ses adieux, lui disent que l’infante est indisposée et ne peut recevoir de visite. Le chevalier pense alors que c’est de la peine de son éloignement ; son cœur est navré, et peu s’en faut qu’il ne laisse échapper son affliction. La confidente est témoin de la scène, elle remarque tout, et va le conter à sa maîtresse, qui l’écoute en pleurant, et lui dit qu’un des plus grands chagrins qu’elle éprouve, c’est de ne savoir qui est son chevalier, s’il est ou non de sang royal. La damoiselle affirme que tant de grâce, de courtoisie et de vaillance ne peuvent se trouver ailleurs que dans une personne royale et de qualité. La princesse affligée accepte cette consolation ; elle essaie de cacher sa tristesse pour ne pas donner une mauvaise opinion d’elle à ses parents ; et au bout de deux jours elle reparaît en public. Cependant le chevalier est parti ; il prend part à la guerre, combat, défait l’ennemi du roi, emporte plusieurs villes, gagne plusieurs victoires. Il revient à la cour, voit sa maîtresse à leur rendez-vous d’habitude, et convient avec elle qu’il la demandera pour femme à son père, en récompense de ses services ; le roi ne le veut pas accepter pour gendre, ne sachant qui il est ; et pourtant, soit par enlèvement, soit d’autre manière, l’infante devient l’épouse du chevalier, et son père finit par tenir cette union à grand honneur, parce qu’on vient à découvrir que ce chevalier est fils d’un vaillant roi de je ne sais quel royaume, car il ne doit pas se trouver sur la carte. Le père meurt,