Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/295

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lequel, s’entendant demander pour quel motif il se trouvait à la chaîne, se mit à pleurer sans répondre un mot ; mais le cinquième condamné lui servit de truchement. « Cet honnête barbon, dit-il, va pour quatre ans aux galères, après avoir été promené en triomphe dans les rues, à cheval et magnifiquement vêtu. — Cela veut dire, si je ne me trompe, interrompit Sancho, qu’il a fait amende honorable, et qu’il est monté au pilori. — Tout justement, reprit le galérien ; et le délit qui lui a valu cette peine, c’est d’avoir été courtier d’oreilles, et même du corps tout entier ; je veux dire que ce gentilhomme est ici en qualité de Mercure galant, et parce qu’il avait aussi quelques pointes et quelques grains de sorcellerie. — De ces pointes et de ces grains, je n’ai rien à dire, répondit Don Quichotte ; mais, quant à la qualité de Mercure galant tout court, je dis que cet homme ne mérite pas d’aller aux galères, si ce n’est pour y commander et pour en être le général. Car l’office d’entremetteur d’amour n’est pas comme le premier venu ; c’est un office de gens habiles et discrets, très-nécessaire dans une république bien organisée, et qui ne devrait être exercé que par des gens de bonne naissance et de bonne éducation. On devrait même créer des inspecteurs et examinateurs pour cette charge, comme pour les autres, et fixer le nombre des membres en exercice, ainsi que pour les courtiers de commerce. De cette manière, on éviterait bien des maux, dont la seule cause est que trop de gens se mêlent du métier ; gens sans tenue et sans intelligence, femmelettes, petits pages, drôles de peu d’années et de nulle expérience, qui, dans l’occasion la plus pressante, et quand il faut prendre un parti, ne savent plus reconnaître leur main droite de la gauche, et laissent geler leur soupe de l’assiette à la bouche. Je voudrais pouvoir continuer ce propos, et démontrer pourquoi il conviendrait de faire choix des personnes qui exerceraient dans l’état cet office si nécessaire ; mais ce n’est ni le lieu, ni le temps. Quelque jour j’en parlerai à quelqu’un qui puisse y pourvoir. Je dis seulement aujourd’hui que la peine que m’a causée la vue de ces cheveux blancs et de ce vénérable visage, mis à si rude épreuve pour quelques messages d’amour, s’est calmée à cette autre accusation de sorcellerie. Je sais bien pourtant qu’il n’y a dans le monde ni charmes ni sortilèges qui puissent contraindre ou détourner la volonté, comme le pensent quelques simples. Nous avons parfaitement notre libre arbitre : ni plantes, ni enchantements, ne peuvent lui faire violence. Ce que font quelques femmelettes par simplicité, ou quelques fripons par fourberie, ce sont des breuvages, des mixtures, de vrais poi-