Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/390

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tambour à broder, et le rouet, bien souvent. Si, pour me récréer, je laissais ces travaux, je me donnais le divertissement de lire quelque bon livre, ou de jouer de la harpe, car l’expérience m’a fait voir que la musique repose les esprits fatigués et soulage du travail de l’intelligence. Voilà quelle était la vie que je menais dans la maison paternelle ; et, si je vous l’ai contée avec tant de détails, ce n’est point par ostentation, pour vous faire entendre que je suis riche, mais pour que vous jugiez combien c’est sans ma faute que je suis tombée de cette heureuse situation au triste état où je me trouve à présent réduite. En vain je passais ma vie au milieu de tant d’occupations, et dans une retraite si sévère qu’elle pourrait se comparer à celle d’un couvent, n’étant vue de personne, à ce que j’imaginais, si ce n’est des gens de la maison, car les jours où j’allais à la messe, c’était de si grand matin, accompagnée de ma mère et de mes femmes, si bien voilée d’ailleurs et si timide, qu’à peine mes yeux voyaient plus de terre que n’en foulaient mes pieds. Et néanmoins, les yeux de l’amour, ou de l’oisiveté, pour mieux dire, plus perçants que ceux du lynx, me livrèrent aux poursuites de Don Fernand. C’est le nom du second fils de ce duc dont je vous ai parlé. »