Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/62

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daire, vous le mettrez tout fait dans votre livre. Vît-on clairement le mensonge, à cause du peu d’utilité que ces auteurs pouvaient vous offrir, que vous importe ? il se trouvera peut-être encore des gens assez simples pour croire que vous les avez tous mis à contribution dans votre histoire ingénue et tout unie. Et, ne fût-il bon qu’à cela, ce long catalogue doit, à l’improviste, donner au livre quelque autorité. D’ailleurs, qui s’avisera, n’ayant à cela nul intérêt, de vérifier si vous y avez ou non suivi ces auteurs ? Mais il y a plus, et, si je ne me trompe, votre livre n’a pas le moindre besoin d’aucune de ces choses que vous dites lui manquer ; car enfin, il n’est tout au long qu’une invective contre les livres de chevalerie, dont Aristote n’entendit jamais parler, dont Cicéron n’eut pas la moindre idée, et dont saint Basile n’a pas dit un mot. Et d’ailleurs, ses fabuleuses et extravagantes inventions ont-elles à démêler quelque chose avec les ponctuelles exigences de la vérité, ou les observations de l’astronomie ? Que lui importent les mesures géométriques ou l’observance des règles et arguments de la rhétorique ? A-t-il, enfin, à prêcher quelqu’un, en mêlant les choses humaines et divines, ce qui est une sorte de mélange que doit réprouver tout entendement chrétien ? L’imitation ne peut lui servir que pour le style, et plus celle-là sera parfaite, plus celui-ci s’approchera de la perfection. Ainsi donc, puisque votre ouvrage n’a d’autre but que de fermer l’accès et de détruire l’autorité qu’ont dans le monde et parmi le vulgaire les livres de chevalerie, qu’est-il besoin que vous alliez mendiant des sentences de philosophes, des conseils de la sainte Écriture, des fictions de poëtes, des oraisons de rhétoriciens et des miracles de bienheureux ? Mais tâchez que, tout uniment et avec des paroles claires, honnêtes, bien disposées, votre période soit sonore et votre récit amusant, que vous peigniez tout ce que votre imagination conçoit, et que vous fassiez comprendre vos pensées sans les obscurcir et les embrouiller. Tâchez aussi qu’en lisant votre histoire le mélancolique s’excite à rire, que le rieur augmente sa gaîté, que le simple ne s’ennuie pas, que l’habile admire l’invention, que le grave ne la méprise point, et que le prudent se croie tenu de la louer. Surtout, visez continuellement à renverser de fond en comble cette machine mal assurée des livres de chevalerie, réprouvés de tant de gens, et vantés d’un bien plus grand nombre. Si vous en venez à bout, vous n’aurez pas fait une mince besogne. »

    José Pellicer de Salas, fit bien mieux encore dans la suite. Son livre, intitulé Lecciones solemnes à las obras de Don Luis de Gongora, est précédé d’un index des écrivains cités par lui, qui contient, par ordre alphabétique, et divisés en 74 classes, 2165 articles.