Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1837, tome 2.djvu/122

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profonds et les plus obscurs souterrains de l’enfer. Suis-moi, Sancho, la charrette va lentement, et avec les mules qui la traînent, je couvrirai la perte du grison. — Il n’est plus besoin de vous donner cette peine, seigneur, répondit Sancho ; que votre grâce calme sa colère. À ce qu’il me paraît, le diable a laissé le grison, et la pauvre bête revient à son gîte. » Sancho disait vrai, car le diable étant tombé avec l’âne, pour imiter Don Quichotte et Rossinante, le diable s’en alla à pied au village, et l’âne revint à son maître. « Il sera bon toutefois, dit Don Quichotte, de châtier l’impolitesse de ce démon, sur quelqu’un des gens de la charrette, fût-ce l’empereur lui-même. — Ôtez-vous cela de l’esprit, s’écria Sancho, et suivez mon conseil, qui est de ne jamais vous prendre de querelle avec les comédiens, car c’est une classe favorisée. J’ai vu tel d’entre eux arrêté pour deux meurtres, et sortir de prison sans dépens. Sachez, seigneur, que ce sont des gens de plaisir et de gaieté ; tout le monde les protège, les aide et les estime, surtout quand ils sont des compagnies royales et titrées[1], car alors, à leurs habits et à leur tournure, on les prendrait pour

  1. Philippe III avait ordonné, à cause des excès commis par ces troupes ambulantes, qu’elles eussent à se pourvoir d’une licence délivrée par le conseil de Castille. C’est cette licence qu’elles appelaient leur titre (titulo), comme si c’eût été une charte de noblesse.