Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1837, tome 2.djvu/218

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fleurs de chèvre feuille. Cette jeune troupe était conduite par un vénérable vieillard et une imposante matrone, mais plus légers et plus ingambes que ne l’annonçait leur grand âge. C’était le son d’une cornemuse de Zamora qui leur donnait la mesure, et ces jeunes vierges, portant la décence sur le visage et l’agilité dans les pieds, se montraient les meilleures danseuses du monde.

Après elles parut une danse composée, et de celles qu’on appelle parlantes[1]. C’était une troupe de huit nymphes réparties en deux files. L’une de ces files était conduite par le dieu Cupidon, l’autre par l’Intérêt ; celui-là, paré de ses ailes, de son arc et de son carquois ; celui-ci, vêtu de riches étoffes d’or et de soie. Les nymphes qui suivaient l’Amour portaient derrière les épaules leurs noms écrits en grandes lettres sur du parchemin blanc. Poésie était le titre de la première ; celui de la seconde, Discrétion ; celui de la troisième, Bonne famille, et celui de la quatrième, Vaillance. Les nymphes que guidait l’Intérêt se trouvaient désignées de la même façon. Libéralité, était le titre de la première ; Largesse, celui de la seconde ; Trésor, celui de la troisième, et celui de la quatrième, Possession pacifique. Devant la troupe marchait un château de bois traîné par quatre sauvages, tous vêtus de feuilles de lierre et de filasse peinte en vert, accoutrés si au naturel que peu s’en fallut qu’ils ne fissent peur à Sancho. Sur la façade du château et sur ses quatre côtés était écrit : Château de bonne Garde. Ils avaient pour musiciens quatre habiles joueurs de flûte et de tambourin. Cupidon commença la danse. Après avoir fait deux figures, il leva les yeux, et, dirigeant son arc contre une jeune fille qui était venue se placer entre les créneaux du château, il lui parla de la sorte :


« Je suis le Dieu tout-puissant dans l’air, sur la terre, dans la mer profonde, et sur tout ce que l’abîme renferme en son gouffre épouvantable.

» Je n’ai jamais connu ce que c’est que la peur ; tout ce que je veux,

  1. Les danses parlantes (danzas habladas) étaient, comme l’explique la description qui va suivre, des espèces de pantomimes mêlées de danses et de quelques chants ou récitatifs.