Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1837, tome 2.djvu/546

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d’apprendre un peu l’état de ma maison, de ma femme et de mes enfants. Sur cela, que Dieu délivre votre grâce des enchanteurs malintentionnés, et qu’il me tire en paix et en santé de ce gouvernement, chose dont je doute, car je pense le laisser avec la vie, à la façon dont me traite le docteur Pédro Récio.

» Serviteur de votre grâce,
» Sancho Panza, gouverneur.»



Le secrétaire ferma la lettre, et dépêcha aussitôt le courrier ; puis, les mystificateurs de Sancho arrêtèrent entre eux la manière de le dépêcher du gouvernement. Sancho passa cette après-dînée à faire quelques ordonnances touchant la bonne administration de ce qu’il imaginait être une île. Il ordonna qu’il n’y eût plus de revendeurs de comestibles dans la république, et qu’on pût y amener du vin de tous les endroits, sous la charge de déclarer le lieu d’où il venait, pour en fixer le prix, suivant sa réputation et sa bonté ; ajoutant que celui qui le mélangerait d’eau, ou en changerait le nom, perdrait la vie pour ce crime. Il abaissa le prix de toutes espèces de chaussures, principalement celui des souliers, car il lui sembla qu’il s’élevait démesurément[1]. Il mit un tarif aux salaires des domestiques, qui cheminaient à bride abattue dans la route de l’intérêt. Il établit des peines rigoureuses contre ceux qui chanteraient des chansons

  1. On lit dans un auteur économique du temps de Cervantès : « Tandis que, ces années passées, le blé se vendait au poids de l’or à Ségovie, que le prix des loyers montait au ciel, et qu’il en était de même dans les autres villes, une paire de souliers à deux semelles valait trois réaux (quinze sous), et à Madrid quatre. Aujourd’hui, on en demande effrontément sept réaux, sans vouloir les donner à moins de six réaux et demi. Il est effrayant de penser où cela va s’arrêter. » (Man. de la Bibl. Royale. – Cod. 156, f. 64)