Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et du pain à son chien entre ses pieds gisant,
Tout hors d’haleine encore, humide et languissant,
Qui, malgré les rameurs, se lançant à la nage,
L’avait loin du vaisseau rejoint sur le rivage.

« Le sort, dit le vieillard, n’est pas toujours de fer.
Je vous salue, enfants venus de Jupiter ;
Heureux sont les parents qui tels vous firent naître !
Mais venez, que mes mains cherchent à vous connaître ;
Je crois avoir des yeux. Vous êtes beaux tous trois.
Vos visages sont doux, car douce est votre voix.
Qu’aimable est la vertu que la grâce environne !
Croissez, comme j’ai vu ce palmier de Latone,
Alors qu’ayant des yeux je traversai les flots ;
Car jadis, abordant à la sainte Délos,
Je vis près d’Apollon, à son autel de pierre,
Un palmier, don du ciel, merveille de la terre.
Vous croîtrez, comme lui, grands, féconds, révérés.
Puisque les malheureux sont par vous honorés.
Le plus âgé de vous aura vu treize années ;
À peine, mes enfants, vos mères étaient nées,
Que j’étais presque vieux. Assieds-toi près de moi,
Toi, le plus grand de tous ; je me confie à toi.
Prends soin du vieil aveugle. — Ô sage magnanime !
Comment, et d’où viens-tu ? car l’onde maritime
Mugit de toutes parts sur nos bords orageux.

— Des marchands de Cymé m’avaient pris avec eux.
J’allais voir, m’éloignant des rives de Carie,
Si la Grèce pour moi n’aurait point de patrie.
Et des dieux moins jaloux, et de moins tristes jours ;
Car jusques à la mort nous espérons toujours.