Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/139

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Et qu’il n’est point à craindre, et qu’une ardente faim
L’aiguillonne et le tue, et qu’il expire enfin.

« Si, comme je le crois, belle dès ton enfance,
C’est le dieu de ces eaux qui t’a donné naissance,
Nymphe, souvent les vœux des malheureux humains
Ouvrent des immortels les bienfaisantes mains.
Ou si c’est quelque front porteur d’une couronne
Qui te nomme sa fille et te destine au trône,
Souviens-toi, jeune enfant, que le ciel quelquefois
Venge les opprimés sur la tête des rois.
Belle vierge, sans doute enfant d’une déesse,
Crains de laisser périr l’étranger en détresse ;
L’étranger qui supplie est envoyé des dieux. »
Elle reste. À le voir elle enhardit ses yeux,
. . . . . . . . . . . et d’une voix encore
Tremblante : « Ami, le ciel écoute qui l’implore.
Mais ce soir, quand la nuit descend sur l’horizon,
Passe le pont mobile, entre dans la maison ;
J’aurai soin qu’on te laisse entrer sans méfiance.
Pour la douzième fois célébrant ma naissance,
Mon père doit donner une fête aujourd’hui.
Il m’aime, il n’a que moi ; viens t’adresser à lui,
C’est le riche Lycus. Viens ce soir ; il est tendre,
Il est humain : il pleure aux pleurs qu’il voit répandre, »
Elle achève ces mots, et, le cœur palpitant,
S’enfuit ; car l’étranger sur elle, en l’écoutant,
Fixait de ses yeux creux l’attention avide.
Elle rentre, cherchant dans le palais splendide
L’esclave près de qui toujours ses jeunes ans,
Trouvent un doux accueil et des soins complaisants.