Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/164

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AUTRE FRAGMENT
SUR L’ENLÈVEMENT D’EUROPE

 
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Telle éclate Vénus au milieu des trois sœurs.
Mais son sort n’était pas de n’aimer que les fleurs,
Et de garder toujours sa pudique ceinture.
Le roi des dieux l’a vue. Une active blessure
Le dévore, dompté sous l’arc insidieux
Du dieu qui peut dompter même le roi des dieux.
Mais, voulant la séduire, et de sa fière épouse,
Éviter, cependant, la colère jalouse,
Il sut cacher le Dieu sous le front d’un taureau
Non ressemblant à ceux qui, sous un lourd fardeau,
Rampent, traînant d’un char les axes difficiles,
Ou préparant la terre à des moissons fertiles.
Sur tout son corps s’étend un blond et pur éclat,
Une étoile d’argent sur son front délicat
Luit. D’amour, dans ses yeux, brille la flamme ardente ;
Un double ivoire enfin sur sa tête élégante
Se recourbe ; la nuit tel est le beau croissant
Que Phœbé dans les cieux allume en renaissant.
Il va sur la prairie, et de frayeur atteinte
Nulle vierge ne fuit. Elles courent, sans crainte,
Vers l’animal paisible, et qui, plus que les fleurs,
De l’ambroisie au loin exhale les odeurs.
Il s’avance à pas lents trouver la jeune reine.
Sur ses pieds délicats sa langue se promène.
Europe, de sa bouche, en le voyant si beau,
Vient essuyer l’écume, et baise le taureau.
Il mugit doucement : la flûte de Lydie