Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/261

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Quand Phébus, que l’hiver chasse de vos remparts,
Va de loin vous jeter quelques faibles regards,
Nous allons, sur ses pas, visiter d’autres rives,
Et poursuivre au Midi ses chaleurs fugitives.
Nous verrons tous ces lieux dont les brillants destins
Occupent la mémoire ou les yeux des humains :
Marseille où l’Orient amène la fortune ;
Et Venise élevée à l’hymen de Neptune ;
Le Tibre fleuve-roi ; Rome fille de Mars,
Qui régna par le glaive et règne par les arts ;
Athènes qui n’est plus, et Byzance ma mère ;
Smyrne qu’habite encor le souvenir d’Homère.
Croyez, car en tous lieux mon cœur m’aura suivi,
Que partout où je suis vous avez un ami.
Mais le sort est secret ! Quel mortel peut connaître
Ce que lui porte l’heure et l’instant qui va naître ?
Souvent ce souffle pur dont l’homme est animé,
Esclave d’un climat, d’un ciel accoutumé,
Redoute un autre ciel, et ne veut plus nous suivre
Loin des lieux où le temps l’habitua de vivre.
Peut-être errant au loin, sous de nouveaux climats,
Je vais chercher la mort qui ne me cherchait pas.
Alors, ayant sur moi versé des pleurs fidèles,
Mes amis reviendront, non sans larmes nouvelles,
Vous conter mon destin, nos projets, nos plaisirs
Et mes derniers discours et mes derniers soupirs.

Vivez heureux ! gardez ma mémoire aussi chère,
Soit que je vive encor, soit qu’en vain je l’espère.
Si je vis, le soleil aura passé deux fois
Dans les douze palais où résident les mois,