Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une jeune beauté qu’appelaient ses soupirs.
Hier, entre ses bras, sur sa lèvre fidèle,
J’ai surpris quelques vers que j’avais faits pour elle.
Et sa bouche, au moment que je l’allais quitter,
M’a dit : « Tes vers sont doux, j’aime à les répéter. »
Si cette voix eût dit même chose à Virgile,
Abel, dans ses hameaux il eût chanté Camille ;
N’eût point cherché la palme au sommet d’Hélicon,
Et le glaive d’Enée eût épargné Didon.[1]


IX[2]

LA SEINE


 
Ainsi, vainqueur de Troie et des vents et des flots,
D’un navire emprunté pressant les matelots,
Le fils du vieux Laërte arrive en sa patrie,
Baise, en pleurant, le sol de son île chérie ;
Il reconnaît le port couronné de rochers,
Où le vieillard des mers accueille les nochers,
Et que l’olive épaisse entoure de son ombre ;
il retrouve la source et l’antre humide et sombre
Où l’abeille murmure ; où, pour charmer les yeux,
Teints de pourpre et d’azur, des tissus précieux
Se forment sous les mains des naïades sacrées ;
Et dans ses premiers vœux ces nymphes adorées
(Que ses yeux n’osaient plus espérer de revoir)
De vivre, de régner lui permettent l’espoir.

  1. Didon se tua avec le glaive d’Énée. Én. iv, 507.
  2. Édition 1819.