Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Que ces touchants objets de pleurs et de soupirs
Ne sont peut-être, hélas ! que d’aimables chimères,
De l’âme et du génie enfants imaginaires.
Il se lève, il s’agite à pas tumultueux ;
En projets enchanteurs il égare ses vœux.
Il ira, le cœur plein d’une image divine,
Chercher si quelques lieux ont une Clémentine,
Et dans quelque désert, loin des regards jaloux,
La servir, l’adorer et vivre à ses genoux.


XV[1]


Souvent le malheureux songe à quitter la vie,
L’espérance crédule à vivre le convie.
Le soldat sous la tente espère, avec la paix,
Le repos, les chansons, les danses, les banquets.
Gémissant sur le soc, le laboureur d’avance
Voit ses guérets chargés d’une heureuse abondance.
Moi, l’espérance amie est bien loin de mon cœur.
Tout se couvre à mes yeux d’un voile de langueur ;
Des jours amers, des nuits plus amères encore,
Chaque instant est trempé du fiel qui me dévore ;
Et je trouve partout mon âme et mes douleurs,
Le nom de Lycoris, et la honte et les pleurs.
Ingrate Lycoris, à feindre accoutumée,
Avez-vous pu trahir qui vous a tant aimée ?
Avez-vous pu trouver un passe-temps si doux
À déchirer un cœur qui n’adorait que vous ?

  1. Éditions 1819.