Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/291

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Ses cris me reprochaient des caresses paisibles ;
Mes baisers, à l’entendre, étaient froids, insensibles ;
Le feu qui la brûlait ne pouvait m’enflammer,
Et mon sexe cruel ne savait point aimer.
Et moi, fier et confus de son inquiétude,
Je faisais le procès à mon ingratitude :
Je plaignais son amour, et j’accusais le mien.
Je haïssais mon cœur si peu digne du sien.

Je frissonne. Ah ! je sens que je m’approche d’elle.
Oui ; je la vois, grands dieux ! cette maison cruelle
Que sans trouble jamais n’abordèrent mes pas.
Mais ce trouble était doux, et je ne mourais pas.
Mais elle n’avait point, sans pitié même feinte,
Rassasié mon cœur et de fiel et d’absinthe.
Ah ! d’affronts aujourd’hui je la veux accabler.
De véritables pleurs de ses yeux vont couler.
Tout ce qu’ont de plus dur l’insulte, la colère,
Je veux… Mais essayons plutôt ce que peut faire
Ce silence indulgent qui semble caresser,
Qui pardonne et rassure, et plaint sans offenser.
Oui, laissons le dépit et l’injure farouche :
Allons, je veux entrer le rire sur la bouche,
Le front calme et serein. Camille, je veux voir
S’il est vrai que la paix soit toute en mon pouvoir.
Prends courage, mon cœur : de douces espérances
Me disent qu’aujourd’hui finiront tes souffrances.