Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/313

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Ah ! quand d’un long espoir on flatta ses désirs,
On n’y renonce point sans peine et sans soupirs.
Que de fois je t’ai dit : « Garde d’être inconstante,
Le monde entier déteste une parjure amante.
Fais-moi plutôt gémir sous des glaives sanglants,
Avec le feu plutôt déchire-moi les flancs. »
Ô honte ! À deux genoux j’exprimais ces alarmes ;
J’allais couvrant tes pieds de baisers et de larmes.
Tu me priais alors de cesser de pleurer :
En foule tes serments venaient me rassurer.
Mes craintes t’offensaient ; tu n’étais pas de celles
Qui font jeu de courir à des flammes nouvelles :
Mille sceptres offerts pour ébranler ta foi,
Eût-ce été rien au prix du bonheur d’être à moi ?
Avec de tels discours, ah ! tu m’aurais fait croire
Aux clartés du soleil dans la nuit la plus noire.
Tu pleurais même ; et moi, lent à me défier,
J’allais avec le lin dans tes yeux essuyer
Ces larmes lentement et malgré toi séchées ;
Et je baisais ce lin qui les avait touchées.
Bien plus, pauvre insensé ! j’en rougis. Mille fois
Ta louange a monté ma lyre avec ma voix.
Je voudrais que Vulcain, et l’onde où tout s’oublie,
Eût consumé ces vers témoins de ma folie.
La même lyre encor pourrait bien me venger,
Perfide ! Mais, non, non, il faut n’y plus songer.
Quoi ! toujours un soupir vers elle me ramène !
Allons. Haïssons-la, puisqu’elle veut ma haine.
Oui, je la hais. Je jure… Eh ! serments superflus !
N’ai-je pas dit assez que je ne l’aimais plus ?