Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/323

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Eh ! pourquoi malheureux sous de bizarres lois
Tourmenter cette vie et la perdre sans cesse,
Haletants vers le gain, les honneurs, la richesse ;
Oubliant que le sort immuable en son cours,
Nous fit des jours mortels, et combien peu de jours !
Sans les dons de Vénus, quelle serait la vie ?
Dès l’instant où Vénus me doit être ravie,
Que je meure. Sans elle ici-bas rien n’est doux :
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Humains, nous ressemblons aux feuilles d’un ombrage
Dont au faîte des cieux le soleil remonté
Rafraîchit dans nos bois les chaleurs de l’été,
Mais l’hiver, accourant d’un vol sombre et rapide,
Nous sèche, nous flétrit ; et son souffle homicide
Secoue et fait voler, dispersés dans les vents,
Tous ces feuillages morts qui font place aux vivants.
La Parque sur nos pas fait courir devant elle
Midi, le soir, la nuit, et la nuit éternelle ;
Et par grâce, à nos yeux qu’attend le long sommeil,
Laisse voir au matin un regard du soleil.
Quand cette heure s’enfuit, de nos regrets suivie.
La mort est désirable, et vaut mieux que la vie.
Ô jeunesse rapide ! ô songe d’un moment !
Puis l’infirme vieillesse, arrivant tristement,
Presse d’un malheureux la tête chancelante,
Courbe sur un bâton sa démarche tremblante ;
Lui couvre d’un nuage et les yeux et l’esprit,
Et de soucis cuisants l’enveloppe et l’aigrit :
C’est son bien dissipé, c’est son fils, c’est sa femme,
Ou les douleurs du corps, si pesantes à l’âme ;