Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/343

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Le soir, lorsque plus loin, s’étend l’ombre des monts,
Ma conque, rappelant mes troupeaux vagabonds.
Leur chanterait cet air si doux à ces campagnes,
Cet air que d’Appenzell répètent les montagnes.
Si septembre, cédant au long mois qui le suit,
Marquait de froids zéphyrs l’approche de la nuit,
Dans ses flancs colorés une luisante argile
Garderait sous mon toit un feu lent et tranquille,
Ou, brûlant sur la cendre à la fuite du jour,
Un mélèze odorant attendrait mon retour.
Une rustique épouse et soigneuse et zélée,
Blanche (car sous l’ombrage au sein de la vallée
Les fureurs du soleil n’osent les outrager),
M’offrirait le doux miel, les fruits de mon verger,
Le lait, enfant des sels de ma prairie humide,
Tantôt breuvage pur et tantôt mets solide,
En un globe fondant sous ses mains épaissi,
En disque savoureux à la longue durci ;
Et cependant sa voix simple et douce et légère
Me chanterait les airs que lui chantait sa mère[1].
Hélas ! aux lieux amers où je suis enchaîné,
Ce repos à mes jours ne fut point destiné.
J’irai : Je veux jamais ne revoir ce rivage.
Je veux, accompagné de ma muse sauvage,
Revoir le Rhin tomber en des gouffres profonds,
Et le Rhône grondant sous d’immenses glaçons,
Et d’Arve aux flots impurs la nymphe injurieuse.
Je vole, je parcours la cime harmonieuse
Où souvent de leurs cieux les anges descendus,

  1. Le poète était alors en Angleterre.