Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/83

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nête homme qui brave à la fois ceux qu’il réfute, et ne craint pas d’appeler sur lui le glaive.

La journée du 10 août vint mettre fin à la discussion libre. André Chénier, retiré de la polémique, se réfugia dans l’indignation solitaire et dans le mépris silencieux. Une lettre de lui, écrite à la date du 28 octobre 1792, nous le montre désormais « bien déterminé à se tenir toujours à l’écart, ne prenant aucune part active aux affaires publiques, et s’attachant plus que jamais, dans la retraite, à une étude approfondie des langues antiques. » Sa santé s’était altérée ; il allait de temps en temps passer à Versailles des semaines vouées à la méditation, à la rêverie, à la poésie. Un amour délicat l’avait repris et le consolait des autres tristesses par sa blessure même. Il en a célébré l’objet dans des pièces adorables, sous le nom de Fanny[1] Mais, suivant moi, la plus belle (s’il fallait choisir), la plus complète des pièces d’André Chénier, est celle qu’il composa vers ce temps, et qui commence par cette strophe :

Ô Versaille, ô bois, ô portiques !
Marbres vivants, berceaux antiques,
Par les dieux et les rois Élysée embelli,
À ton aspect dans ma pensée.
Comme sur l’herbe aride une fraîche rosée,
Coule un peu de calme et d’oubli.

Qu’on veuille la relire tout entière. On y voit, dans un

  1. C’était (car le temps permet aujourd’hui de soulever le voile), c’était Mme Laurent Le Coulteux, née Pourrat, sœur de Mme Hocquard, et qui habitait alors à Luciennes.