Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Le villageois écoute, accepte la partie :
On se lève, et d’aller. Tous deux de compagnie,
Nocturnes voyageurs, dans des sentiers obscurs,
Se glissent vers la ville et rampent sous les murs.
La nuit quittait les cieux, quand notre couple avide
Arrive en un palais opulent et splendide,
Et voit fumer encor dans des plats de vermeil
Des restes d’un souper le brillant appareil.
L’un s’écrie ; et, riant de sa frayeur naïve,
L’autre sur le duvet fait placer son convive,
S’empresse de servir, ordonner, disposer,
Va, vient, fait les honneurs, le priant d’excuser.

Le campagnard bénit sa nouvelle fortune ;
Sa vie en ses déserts était âpre, importune.
La tristesse, l’ennui, le travail et la faim.
Ici, l’on y peut vivre ; et de rire. Et soudain
Des volets à grand bruit interrompent la fête.
On court, on vole, on fuit ; nul coin, nulle retraite.
Les dogues réveillés les glacent par leur voix ;
Toute la maison tremble au bruit de leurs abois.
Alors le campagnard, honteux de son délire
« Soyez heureux, dit-il ; adieu, je me retire,
Et je vais dans mon trou rejoindre en sûreté
Le sommeil, un peu d’orge, et la tranquillité. »